Résumé :
De Chicago au cœur de la Sicile, des zones tourmentées par les guerres au Moyen Orient et en Asie à la périphérie lyonnaise en passant par le Tchad, Al Baron nous entraîne finalement sur le Chemin de Compostelle, là où les déviances humaines ne permettent plus de garantir une sanctuarisation pour le marcheur dans sa quête de sérénité. La protection historique religieuse pour les pèlerins ou randonneurs n’est plus dans l’heure du temps. Ce nouvel ouvrage, Il n’existe plus de sanctuaire, thriller d’actualité, après De la Vie à la Mort et Sombre Incertitude, mêle les actions troubles du banditisme et du terrorisme autour de protagonistes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Le commandant Lucie Thénard, de la Direction inter-régionale de la police judiciaire de Lyon, peu habituée à ce type d’enquête, va se trouver confrontée à une situation complexe au fil des événements. Le rythme soutenu jusqu’à l’épilogue laisse à l’auteur l’occasion de démontrer son sens de l’intrigue et son aisance d’écriture.
Premier chapitre
Parc de Miribel Jonage : début mars 2016
Dans cette zone de la ceinture verte autour de l’agglomération lyonnaise, les quatre vététistes parcouraient alternativement les chemins à découvert, les sentes ombragées et étroites. Les racines des arbres et les pierres ajoutaient de la difficulté à la faible visibilité pour le choix de la bonne trajectoire. Ils arrivaient vers le lac des Allivoz, à proximité de la réserve d’oiseaux, maintenant entre eux quelques roues d’écart pour éviter avec les à-coups les chocs de vélos. Les suspensions avant et arrière permettaient de surmonter assez facilement les reliefs somme toute peu marqués dans ce terrain.
Avec la vitesse, l’élan, la recherche permanente du maintien de l’équilibre, le premier des vététistes, les muscles tendus et raidis, avait failli tomber sur l’obstacle de stupeur, bloquant toute réaction instantanée. Il était tétanisé. Les trois suivants s’arrêtèrent brutalement au risque, eux aussi, de chuter lourdement et commençaient à crier après leur ami pour se moquer de sa maladresse quand ils virent avec effroi comme lui les trois corps plus ou moins entassés. Personne n’avait envie de plaisanter maintenant.
Il était dix heures du matin ce samedi lorsque la découverte macabre fut faite au sein d’un fourré, à mi-chemin de la sente qui reliait deux sentiers plus importants. Trois cadavres gisaient, tous égorgés, juste après une petite descente torturée et étroite, sans doute inondée par temps de forte pluie.
Quelques minutes auparavant une lumière transparente, légère éclairait ce début de journée. La matinée n’était pas encore suffisamment entamée pour que la foule habituelle des sportifs et promeneurs s’impose dans le paysage. Les oiseaux profitaient du calme pour s’appeler, voler ou tout simplement chercher un peu de nourriture sur les plans d’eau et leurs abords, après la nuit passée dans cette immensité verte. Les grèbes, foulques, hérons, cormorans, chevaliers et autres martin pêcheurs rivalisaient avec leurs différents cris.
Comme si la présence révélée des trois corps martyrisés avait déclenché une réaction des éléments, le ciel s’était obscurci, rendant l’atmosphère plus humide et le paysage lugubre. La vie semblait s’échapper au profit d’un grand silence oppressant, froid et inquiétant. On ne regardait plus les arbres de la même manière comme si témoins inertes d’un drame ils en portaient la responsabilité.
Les gendarmes, arrivés assez rapidement depuis Miribel, avaient délimité la scène selon les procédures et commençaient leur travail d’identification. Le capitaine Pierre Moreland interrogeait les vététistes qui avaient découvert les corps. En fait peu d’explications fournies. Les quatre amis se relayaient pour maintenir un rythme soutenu. Ils avaient besoin de se dépenser physiquement afin d’éliminer les soucis et la pression qu’ils assumaient dans leurs métiers de cadre. La découverte brutale et inattendue pour eux constituait plus un traumatisme qu’une aventure. Ils semblaient choqués surtout celui qui le premier avait failli rouler sur les victimes. Ce type de rencontre était rare pour un informaticien plutôt habitué aux bugs et à d’incessantes réclamations dans l’ensemble plus paisibles et souvent désabusées, face à la complexité du monde moderne. L’horreur de la mort à l’état brut les avait saisis.
L’équipe de Moreland avait appelé la scientifique. D’après les premières constatations, les trois hommes n’avaient pas été assassinés sur place. Il n’y avait pas assez de sang pour que le lieu soit identifié comme la scène d’un triple égorgement. Selon les papiers d’identité trouvés, il s’agissait de trois hommes de dix-huit à vingt et un ans, français d’origine magrébine d’après la consonance de leurs noms, résidant à Vaulx-en-Velin, dans le quartier du Mas du Taureau connu en octobre 1990 pour une émeute après le décès d’un jeune homme, à la suite d’un choc avec une voiture de police. Les trois victimes s’appelaient Mohammed Derrah, Salman Harka et Ahmed Mohad.
Moreland commençait à ne pas apprécier cette affaire, car les caractéristiques de ces assassinats risquaient de déboucher sur une cause religieuse. On voyait en effet rarement des affaires de droit commun, de grand banditisme se terminer par un triple égorgement. Ce n’était visiblement pas un simple règlement de compte. On était assez loin des habituels crimes crapuleux liés au proxénétisme ou à la drogue. Certes deux univers cohabitaient dans le grand parc. Celui de la journée avec les photographes animaliers, les sportifs, les promeneurs et suivant la météo les familles. Celui de la nuit pouvait aussi se révéler plus dangereux avec des activités pas toujours avouables au grand jour. Mais les couples adultères, les relations tarifées du proxénétisme ne se terminaient en général pas de cette manière.
Le capitaine n’avait encore jamais rencontré ce type de situation. Sa carrière l’avait conduit de Saintes à Pau pour l’essentiel. Sa venue dans la métropole lyonnaise résultait d’un choix de carrière avec son avancement de grade mais aussi d’une volonté familiale. Sa femme d’origine dauphinoise avait encore ses parents à Chambéry. Leurs quatre enfants pour leurs études avaient aussi un plus grand éventail offert à Lyon dans les années futures, lorsqu’ils en auraient terminé avec leurs collèges et lycées.
Il chargea les hommes présents de rechercher des traces dans les environs. En effet, les victimes devaient bien être venues dans cet endroit en véhicule. Si les assassinats n’avaient pas eu lieu dans cette zone bien délimitée peut-être aurait-on la chance de découvrir des traces de sang d’autres personnes, mais aussi des empreintes de roues de voitures. En ce qui concernait celles de chaussures, avec le terrain assez sec depuis quelques jours et le passage des marcheurs de toutes sortes, il ne fallait pas trop y compter. Le médecin légiste apporterait peut-être des précisions, lorsqu’il aurait conduit ses investigations.
Le capitaine décida de prévenir sa hiérarchie. C’est ainsi qu’un signalement fut adressé à la Direction générale de la sécurité intérieure. Même si Moreland devait conduire l’enquête qui risquait d’être assez difficile sans aucune autre trace que les corps, du moins pour le moment, on se devait de prendre des précautions.
Vingt-quatre heures après, aucun indice n’avait été trouvé. Il y avait trop de passages sur le sol. Entre les vététistes, les marcheurs ou coureurs mais aussi quelques chevaux, avec la présence de centres équestres sur l’autre rive, il n’y avait rien d’exploitable.
En élargissant la zone de recherche, le lendemain furent trouvées des taches de sang en grand nombre. La scène de crime découverte était éloignée d’une centaine de mètres de celle où les corps avaient été déposés. Des prélèvements furent effectués. Après analyse, ils correspondaient bien au sang des trois victimes. Pas d’autres traces ne furent mises en évidence. Par ailleurs, sur les corps aucun autre indice que les blessures vitales au cou ne fut trouvé, si ce n’est quelques marques sur le crâne d’un d’entre eux et sur la figure d’un autre. Mais c’était bien l’égorgement qui avait provoqué les décès. Il n’y avait donc pas eu de lutte. Les blessures mortelles avaient été faites avec la même arme et de manière très professionnelle. Les trois jeunes hommes étaient morts rapidement. Une ou plusieurs personnes les avaient transportés à l’abri des regards, même si l’auteur ou les auteurs, savaient pertinemment que les corps seraient retrouvés. Peut-être un simple déplacement pour retarder la découverte. Cela pouvait sembler étrange. Pourquoi se donner autant de peine ?
Moreland devait se rendre à l’évidence. Sauf coup de chance provenant d’un témoignage parmi les connaissances des victimes, on ne trouverait rien.
Malheureusement les proches des trois victimes étaient peu loquaces et semblaient plus dans l’interrogation que dans la dissimulation. Personne ne savait expliquer leur présence au parc de Miribel Jonage et encore moins une telle mise en scène. Aucune fiche ne figurait sur eux dans les bases de données. Jeunes, sans doute turbulents, peut-être désoeuvrés au moins pour deux d’entre eux, ils n’étaient pas connus pour quelque fait que ce soit. Trois vies gâchées, trois familles dans la douleur et l’incompréhension, de quoi encore alimenter un peu plus le ressentiment général.
Ce qui tourmentait le plus le capitaine Moreland était que ce triple crime odieux relevait probablement d’une grande complexité et qu’il avait été minutieusement préparé. On n’égorge pas trois personnes de manière impromptue et dans un tel lieu isolé sans qu’elles réagissent. Pourquoi trois jeunes hommes se laissaient-ils tuer ? L’instinct de survie aurait dû les conduire à tenter quelque action. On risquait de ne pas en trouver les auteurs très rapidement.
La situation au contraire aurait exigé que l’affaire aille vite pour désamorcer toutes les interprétations possibles générant ainsi des prises de position des uns et des autres peu adaptées aux réalités mais convenant à tous ceux qui éprouvaient le besoin de se manifester et de manipuler les opinions. Il savait devoir y consacrer beaucoup de temps. Ce qu’il fit dans les jours suivants. Il serait sans doute convoqué à la réunion hebdomadaire de sécurité à la Préfecture.
Le calme était revenu à Miribel Jonage, véritable poumon vert, mais l’inquiétude demeurait.
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