Histoire sordide d’aujourd’hui accompagne les tourments de l’époque et son actualité. Les personnages vivent dans un monde où la violence règne dans les différents lieux où l’action se déroule : en France de la région lyonnaise à Paris, en Afrique de la Libye à l’Egypte et à Abidjan, l’Asie est concernée aussi avec Shanghai. Même les innocents ne sont pas toujours épargnés car ils ne choisissent pas leurs destinées, comme le découvriront les OPJ en charge des enquêtes.
Préambule : Bertrand Cassin
Je m’appelle Bertrand Cassin. Cette histoire n’était pas la mienne. Simple professeur de philosophie dans un lycée lyonnais, jamais je n’aurais dû me trouver impliqué par les évènements qui viendraient remplir ma vie d’imprévus.
Le temps s’était brutalement rafraîchi après un mois d’avril ensoleillé, sans doute l’approche des saints de glace craints de tous les travailleurs de la terre. Un vent humide parcourait les rues parallèles au Rhône et à la Saône. Les passants, de nouveau avec des vêtements d’hiver, se dépêchaient de traverser les ponts du grand fleuve hypnotisant et d’un gris foncé. Des nuages épais et menaçants semblaient accrochés au-dessus de la ville. Une pluie froide s’annonçait. Les piétons s’étaient pour la plupart munis d’un parapluie. Le printemps paraissait reculer, comme si une colère céleste se préparait. Un oracle voulait peut-être punir les hommes si agités et inconséquents?
Je m’étais réfugié dans un café. Ce fut comme un hasard si je fis ainsi connaissance de cet homme début mai 2016. Installé à une table voisine très proche de la mienne il s’appelait Miguel. Grand, élancé quoiqu’avec l’âge il commençait à s’épaissir. Cheveux noirs bouclés, yeux marron, teint foncé, plutôt buriné, sa présentation laissait à penser qu’il était comme les personnes habituées à vivre à l’extérieur. Vêtu d’un pantalon en velours côtelé, d’une veste en laine, ses petites lunettes lui donnaient un air d’intellectuel. La fatigue se voyait sur son visage. Nous nous rencontrâmes dans ce café, rue Saint-Jean, chacun d’entre nous attendant quelqu’un depuis quelques instants. Nos regards se croisèrent dans ces instants d’inoccupation pendant lesquels l’esprit vagabonde d’une pensée à l’autre, d’une personne attablée à un passant et puis dans un élan de sympathie, nous nous sourîmes tous les deux avant de commencer à parler. Au début ce fut pour meubler le temps, rompre le silence. Peut-être la peur du vide ou la réponse à un instinct grégaire ? Puis la discussion prit une allure de conversation entre vieilles connaissances. C’était un peu paradoxal, pour le moins inattendu. Pourquoi et selon quelles règles, les hommes se trouvaient-ils des affinités en quelques instants, en un simple échange de regard et peu de mots alors que tant d’autres, parfois les mêmes n’arrivaient pas à communiquer ? Le hasard, des prédispositions, la crainte d’être seul face à soi-même, un contexte momentané ? Peut-être un mélange des quatre ?
Une femme très jeune arriva, déposa un baiser sur sa joue et s’assit.
– Je vous présente ma fille Gloria.
– Ravi de faire votre connaissance.
– Gloria, je te présente Bertrand, un nouvel ami.
Et en s’adressant à moi.
– Elle est maintenant architecte et excellente photographe.
– Tu exagères toujours. Je m’amuse à réaliser des macrophotographies.
– Pour moi c’est une forme d’art qui complète bien tes dispositions pour l’architecture.
Ma compagne, Adeline, arriva presque aussitôt, les bras chargés de paquets, son retard s’expliquait.
Après quelques instants d’échanges banaux, Gloria ne voulant rien consommer et semblant pressée, ils partirent tous les deux. Je racontai à Adeline ma rencontre. Pensant à ses achats elle n’accorda que peu d’importance à mes propos. D’autant que pour elle, il ne s’agissait pas d’achats mais de trouvailles, avec cette note subtile de festivité supplémentaire.
Le lendemain dans ce bar, je retournai à la même place. J’y avais maintenant mes habitudes. Entre les cours, j’aimais cette sensation d’évasion dans cette rue, ce lieu de détente, y passer du temps à regarder les consommateurs, écouter sans accorder beaucoup d’attention les conversations des uns et des autres. Je commençais à reconnaître certaines têtes. Parfois un salut était échangé. Le décor avec les petites tables, parfois un peu bancales, quelques canapés ayant traversé plusieurs décennies sans doute, les murs en bois ornés de vielles photos illustrant l’histoire de la ville, donnait une impression de calme, d’intemporabilité. J’aimais surtout lire des articles ou un livre dans ce refuge. Je détestais de plus en plus les salles de professeurs, non pas que je fuyais mes collègues, mais ce changement d’atmosphère répondait à un besoin de démarcation, de liberté. Avec l’âge je me refusais de plus en plus à appartenir à une catégorie sociale, un corps de métier, une coterie. J’éprouvais un besoin d’autonomie viscérale auquel la philosophie devait prédisposer. Je ne résidais pas dans ma tour d »ivoire mais je ressentais ma différence dans cette masse de gens qui m’entouraient. Parfois, il m’arrivait aussi d’oublier complètement l’heure et je me précipitais alors pour rejoindre mon établissement comme un enfant pris en faute.
Quelques instants plus tard, Miguel arriva, me salua et me demanda la permission de s’asseoir en face de moi. Il avait envie de parler et moi d’écouter. Sa voix chaude me captivait. La différence d’âge me semblait plus importante que la réalité. Il m’expliqua sa fatigue, ses problèmes de santé et débuta le récit de sa vie. C’était inattendu, nous ne nous connaissions que depuis hier et encore. Peut-on parler de se connaître au travers d’une seule heure de discussion un peu superficielle tenue dans un café ? Mais ne m’avait-il pas présenté à sa fille comme un nouvel ami ?
Qui était-il réellement ? Je ne cherchais pas à réfléchir, je l’écoutais simplement, absorbant ses paroles, au gré de nos rencontres qui allaient se succéder. Celles-ci s’échelonnèrent de début mai à début juin. Un mois, ce qui était à la fois long et court avec le recul.
Son histoire, du moins ce n’était pas comme cela qu’il me l’avait présentée pendant presque toute la durée de son récit parlant de la vie mouvementée de son meilleur ami, me tint en haleine pendant ces quelques semaines.
A l’époque, je n’étais pas quelqu’un de blessé par la vie. Tout m’avait relativement souri. Certes ce n’était pas le nirvana, plutôt le sentiment d’être heureux en ayant échappé, à la différence de certaines de mes connaissances, à des problèmes majeurs de santé, des accidents automobiles ou autres catastrophes, bref n’ayant pas connu la même chance dont j’avais bénéficié. Et puis, même si mon divorce avait provoqué plus qu’un malaise dans ce déroulé, la rencontre rapide avec ma nouvelle compagne m’avait permis de surmonter une remise en question trop forte, génératrice de doute. Mon caractère y était sans doute aussi pour quelque chose. Assez passif face aux événements, reconnu dans mon métier et respecté par mes élèves, mon état d’esprit souvent occupé par des joutes philosophiques, me conduisait à une certaine sérénité et les événements se déroulaient sans vraiment m’atteindre profondément. C’était sans doute ce qui donna l’occasion à Miguel de me captiver aussi facilement, de donner un peu d’illusion dans ma vie monotone mais surtout de me faire entrer malgré moi, dans un certain engrenage, en introduisant des personnages et des actions dans les mois qui suivirent.
Quelques jours après la fin de son récit, je rencontrai de nouveau Miguel à ce bar. Il m’avoua qu’il devait se faire hospitaliser. Malgré mon insistance il ne voulut rien me dire et surtout refusa que je lui rende une quelconque visite.
Ce ne fut que quelques mois plus tard, fin novembre ou début décembre, rencontrant sa fille à Paris après un appel téléphonique de sa part, qu’elle m’apprit son décès à la suite de son cancer du foie et du pancréas. La mort l’avait frappé à l’âge de 56 ans. Nous étions alors dans une grande brasserie située dans le quartier latin, là où je m’étais rendu pour mon travail. Elle me remit aussi une lettre de son père écrite quelques jours avant son décès. Elle me demanda de la lire seulement quand elle serait partie. Nous restâmes encore à parler quelques instants. Je lui demandai si son travail d’architecte lui plaisait, si elle était satisfaite de ses expériences en macrophotographie. Elle me répondit de manière sympathique mais notre conversation atteignit rapidement ses limites. Nous ne nous connaissions pas vraiment. Elle n’était pas curieuse à mon sujet. Elle ne me posa que peu de questions, et encore, je crois par pure politesse. Notre seul lien était représenté par son père. Je n’accordai pas vraiment d’importance au regard qu’elle porta à plusieurs reprises en direction du comptoir. Elle me quitta brièvement en me demandant de garder un sac pendant qu’elle se rendait aux toilettes.
Je ne la revis plus vivante. Sur le moment je ne prêtai pas beaucoup d’attention à deux hommes assez grands et d’allure sportive debout devant le comptoir et qui m’observaient dans le reflet de la glace située derrière le serveur. Au bout d’une dizaine de minutes je me levai et demandai à celui-ci s’il avait vu Gloria. Il me déclara qu’elle était partie par la porte située au fond de la brasserie. Je remarquai à cet instant que l’un des deux hommes qui me regardait laissa son ami en quittant rapidement les lieux pour scruter dehors, semblant chercher quelqu’un. Là encore je n’en vis pas l’importance sur l’instant.
Je retournai m’asseoir et entrepris de lire la lettre laissée par Miguel. Elle était écrite d’une main mal assurée, certainement affaiblie.
Cher ami,
Mon récit, au cours de ces semaines où nous avons lié plus que connaissance dans notre café préféré, t’a procuré, je n’en doute pas à tes questions, un certain intérêt et développé chez toi une grande curiosité. C’était ce dont j’avais besoin. Trouver une écoute, une âme bienveillante pour dresser un état de ma vie, avec la proximité du départ que la maladie déclarée avait irrémédiablement fixé. Ce récit est bien celui de ma vie et non celle de l’ami que j’avais mis en avant lors de notre première rencontre .Très rapidement je me suis dévoilé à toi et d’ailleurs tu m’as interpellé sur les actes de ma famille et sur ce besoin de me raconter. Pourquoi suis-je passer par un intermédiaire ? Sans doute parce qu’il était plus facile d’évoquer certains évènements et surtout pour éviter des questions trop directes de ta part. Même si je te dévoilais beaucoup de choses intimes, je voulais préserver une certaine pudeur, peut-être déplacée en ces instants, mais réelle, au regard de mon caractère et de ma sensibilité. Et de toute façon, comme tu t’en es rendu compte, je ne disposais pas réellement d’amis .Je suis resté un solitaire toute ma vie. La seule période de ma vie qui a présenté un caractère un peu social fut l’époque partagée avec mon ex-femme. Mais après notre divorce, j’ai progressivement coupé toutes relations avec nos anciens amis.
Je voudrais m’excuser de t’avoir pris à témoin, mais tu l’auras compris, avec ma mort certaine, j’espérais aussi me tromper moi-même. En vain. Personne ne peut échapper à son histoire, à celle de sa famille, à ses actes, bref à sa destinée… On ne s’appartient pas.
S’en suivaient des éléments qui seront rapportés ensuite dans ce livre.
Je restais encore quelques minutes à réfléchir. Je devais reconnaître que j’étais plongé dans un abîme de perplexité. Finalement je pris le paquet laissé par Gloria et rentrai à mon hôtel. Je ne reprenais le train que le lendemain après-midi. Bien évidemment, je ne me rendis pas compte d’être suivi, trop préoccupé par le sac et la disparition rapide de Gloria, trop insouciant avec mon style de vie, plus intellectualisé et absorbé par des joutes philosophiques virtuelles, comme par exemple Nietzche répondant à Spinoza, autour de la puissance, de la liberté d’agir. Pourquoi cette fuite précipitée ? Avait-elle eu un problème ? Si je prévenais la police, je ne saurais trop quoi dire. Je passerais sans doute pour un original, car finalement je ne connaissais que peu de choses d’elle. Après tout elle était majeure et vivait à Paris normalement. Je ne connaissais d’ailleurs pas son adresse.
En lisant la presse, quelques jours après, je compris que Gloria avait été assassinée dans son appartement parisien. Les circonstances atroces du décès avaient conduit les médias à s’en faire écho au niveau national. La police ne semblait posséder aucun indice et lançait un appel à témoin. Sur le moment, préoccupé par l’état de santé de mes parents, je ne pensai pas répondre à cet appel , d’autant que je n’avais été témoin de rien, et qu’Adeline dans le sac laissé par Gloria n’avait trouvé que quelques achats de faible importance.
L’histoire qui va suivre sera donc celle de Miguel et non celle de son meilleur ami. A travers son parcours de vie, différents personnages interviendront, mêlant leurs destins.
Je n’ai aucune raison de chercher un exutoire surtout à la lumière des évènements qui viendront impacter ma vie petit à petit. Je veux simplement témoigner.
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