Paul, médecin urgentiste humanitaire, possédant une spécialité aussi de médecine légale, travaillant au CHU de Dijon, habite sur un des plateaux dominant la vallée de l’Ouche. Il voit sa vie bouleversée à la suite d’une série d’évènements criminels. Il ne sera pas épargné et connaîtra un destin différent de celui qu’il avait pu imaginer, après diverses séquences de vie tant en France que dans des pays en proie à des situations de crise. L’humanité est toujours en devenir, la nature humaine ne parvenant pas à surmonter sa part d’ombre.
Prologue : Mali Bamako, Nathalie Belmont, 2019,
… ne fallait-il pas vivre avec ses rêves…
Bamako étalait sa torpeur tropicale sous un soleil rouge voilé en cette fin de journée. J’étais encore dans ma chambre d’hôtel dans le quartier du fleuve Niger. Je m’apprêtais à sortir pour dîner sans doute un poulet mafé ou un riz wolof, avec le responsable de mon association, Marc Sergent.
Je m’appelle Nathalie Belmont et suis infirmière dans une organisation humanitaire actuellement en mission au Mali. Je n’ai connu que récemment Paul Vertunot. Nous étions rapidement devenus très proches. Grand, assez athlétique, allure sportive, cheveux foncés coupés courts, yeux marron, d’apparence nonchalante, il représentait une sorte de bouée de sauvetage, pour une femme entre deux âges, ayant perdu ses repères mais encore désirable, si j’en juge à certaines sollicitations, à certains regards insistants dont je faisais l’objet. Il agissait du matin au soir, comme un train sur ses rails, au service des autres. Mélange de douceur et de fermeté, parfois à la limite non pas de la brutalité, mais d’une rudesse proche d’une forme de violence rentrée et contenue. Mon caractère n’étant pas très lisse, notre relation amoureuse fut intense. Elle répondait probablement à un besoin mutuel, une quête d’affection, peut-être plus, mais quelque chose d’éloigné d’un romantisme dépassé. Nos vies s’étaient éparpillées dans les années passées. Pas de réel point d’ancrage. Pas de repère affectif profond existant ou amoureux durable. Comme si la vie nous avait à l’un et l’autre enlevé toute idée de créer une cellule familiale. Peut-être une absence d’envie aussi avec les ornières de nos chemins.
Nous arrivâmes à un point où non croyants de quelques religions ou idéologies qu’il soit, nous acceptions notre condition d’intégrer l’inacceptable par nous mêmes. Orgueil, indifférence, maturité d’esprit, saturation à la vue des détresses qui nous entouraient ? Peu importe. D’ailleurs, nous nous amusions à évoquer le chêne et le roseau qui réagissaient différemment face aux intempéries. Ils résistaient chacun à leur manière. Qui avait raison, quel était celui qui sur la durée vivrait le plus longtemps ?
Mais était-ce finalement la bonne question ? Ne fallait-il pas vivre avec ses rêves ? Pas besoin de bouc émissaire au quotidien pour oublier nos imperfections, nos manques, pour se déculpabiliser ou pour apaiser nos angoisses. Malgré les avis de tempêtes nous essayions l’un et l’autre de rester debout, face au vent. La mer n’est jamais calme durablement.
Lorsque Paul était parti pour ne pas revenir, j’avais réalisé que mon errance continuerait sans fin. Mon amant n’était plus là. Paul as-tu disparu dans la noirceur des ténèbres ou dans la lumière d’une toile blanche ?
Je me rappellerai toujours sa tendresse un peu désespérée, sa maladresse pour aimer. Je n’avais pas réussi à briser cette forme de détachement qu’il portait vis-à-vis de sa propre personne comme si son sort l’indifférait. Nos ébats nous laissaient épuisés physiquement avec nos pensées à la fois si proches et en réalité si éloignées. Chacun restait dans sa bulle, une certaine forme de communication plus intense, plus intime n’était pas possible. Nous devions avoir cependant un point de désaccord majeur. Je pensais que la vie méritait d’être vécue jusqu’au bout, quoiqu’il puisse arriver. Rester adossé à la mort le plus longtemps possible. Ne lui faire face qu’au dernier moment, à l’ultime seconde, quand il n’y avait plus rien à faire, que tout semblant d’espoir était anéanti. Pour Paul, vivre ne signifiait plus rien, toute part d’incertitude, d’espérance avait disparu. Ne lui restait que l’inéluctable.
Je me souviendrai aussi de ses propos relatifs à un otage qu’il avait rencontré à la frontière nord du Liban, à la suite de la libération de celui-ci avec des contreparties inavouables de la part de l’Etat via une association ayant tenu le rôle d’intermédiaire. De l’autre côté c’était la Syrie. Il m’avait rapporté certaines paroles de l’otage au sujet de son internement forcé. Seul dans son réduit de puanteur, envahi par les insectes de toutes sortes et les rats, cet homme ne survivait dans l’obscurité qu’à travers son esprit. Condamné à l’inactivité dans la lenteur du temps, sa perception de la réalité était déformée. Il ne pouvait que poser son regard vide et désespéré en attente de quelque chose. Il n’entendait même pas la pluie. Il ne résistait au quotidien qu’avec l’espoir d’apercevoir une ombre, un rai de lumière sous la porte, d’entendre le frôlement d’un tissu contre le mur de son antre, de ressentir une légère odeur plus subtil, non pas d’un parfum mais de quelque chose de différent que les relents habituels. Son acuité au moindre changement de son environnement s’était fortement développée. Son obsession avait été avec le temps de dresser un cafard.
Et puis ce gendarme, le capitaine Chaumont, était venu me voir à Sanankoraba pour me raconter l’histoire de Paul, du moins ce qu’il pensait l’être, et me poser des questions, car c’était surtout cela qui avait motivé son long déplacement. Je lui avais remis les notes trouvées dans les affaires de mon amant. C’était un mélange de feuilles rédigées à la main et d’autres imprimées. J’avais acquis l’intime conviction que c’était ce qu’il aurait souhaité. Il voulait laisser une trace de son passage comme un témoignage, mais c’était aussi un testament. J’en avais gardé une photocopie. A la suite de cette visite, j’avais rajouté quelques éléments à partir de ce que le capitaine de gendarmerie m’avait révélé, mais surtout de ce que j’avais imaginé du point de vue d’une femme amoureuse désespérément. Dans cette volonté d’être la plus exhaustive que possible, je m’étais peut-être laissée aller à certaines imprécisions, à une forme de romance mais je pensais ne pas avoir trahi l’essentiel. Enfin j’avais adressé le tout à un éditeur parisien connu par l’intermédiaire de ma sœur. Après différentes modifications de sa part sur la forme, puis quelques contacts, des relectures attentives de ma part, l’éditeur procédait à la publication de ce roman qui pour le public constituerait une fiction comme une autre mais pour moi resterait une part de ma vie.
Ce qui va suivre est donc ce que Paul a voulu que l’on sache de lui, du moins pour l’essentiel. Jamais il n’aurait pu en parler de manière aussi détaillée à un enquêteur. Trop de pudeur, de fierté peut-être. Un grand malaise certainement, doublé d’une certaine forme d’incompréhension.
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